Les cinéastes aiment le château de Champs

Publié le par Ludovic Francisco

les_liaisons_dangereuses.jpgEt le château de Champs le leur rend bien... Depuis la fin des années 80, la maison de plaisance et son domaine de 85 hectares sont l'une des terres d'élection des réalisateurs, qui apprécient le classicisme de cette superbe construction du siècle des Lumières.

 

Se doutait-il que sa demeure deviendrait un site privilégié du Septième Art ? Assurément non ! Lorsqu'ils la commande à Pierre Bullet, architecte de Louis XIV, en 1699, Charles Renouard de la Touane cherche à faire construire un hôtel particulier pour sa famille dans un lieu à la fois proche et éloigné des fastes de la cour. De mauvaises affaires le conduisent à céder son bien à un autre financier, Paul Poisson de Bourvalais, qui fait reprendre l'ouvrage. C'est le propre fils de l'architecte, Jean-Baptiste Bullet de Chamblain, qui achèvera la construction en 1706. Accusé de malversation dix ans plus tard, le propriétaire est embastillé et le château cédé à la propre fille de Louis XIV, la princesse de Conti. Endettée elle-même, elle ne tarde pas à offrir le domaine à son cousin, le duc de la Vallière. En 1757, la fameuse Madame de Pompadour investit le château, où elle vivra dix-huit mois. Les propriétaires se succèdent, de même que les invités prestigieux, Diderot, D’Alembert, Voltaire, Chateaubriand et Marcel Proust, jusqu'en 1895 où le comte Louis Cahen d'Anvers fait procéder à une première restauration. Trente ans plus tard, son fils Charles fait don du château à l'Etat. La bâtisse est modernisée en 1959 pour y accueillir les chefs d'Etat, notamment Africains : Mohammed V puis Hassan II, rois du Maroc, Léopold Sédar Senghor, président du Sénégal, Félix Houphouët-Boigny, président de la Côte d'Ivoire ou encore Jean-Bedel Bokassa, président de Centrafrique. Après 1974, cette vocation prend fin avec l'ouverture au public du château, désormais placé sous la responsabilité du Centre des monuments nationaux, qui le gère, le conserve, le restaure et l'anime.

 

Des films essentiellement historiques

 

Les cinéastes profitent de l'aubaine et investissent petit à petit les lieux pour effectuer leurs tournages. Il faut dire que le château, parfaitement conservé, constitue l'un des joyaux de l'architecture classique en Ile-de-France. Son décor rocaille et son mobilier estampillé, son salon de musique, son escalier, sa chambre d'honneur, sans oublier ses espaces verts, réalisés par les restaurateurs des jardins de Le Nôtre, ont offert à Stephen Frears, Diane Kurys, Patrice Lecomte et autres Josée Dayan un cadre particulièrement raffiné pour leurs reconstitutions historiques : "Vatel" (1999), qui relate les soucis de l'intendant du Prince de Condé dans son château de Chantilly, "Les Liaisons dangereuses" (1988), dont l'action se passe sous le règne de Louis XV, "Ridicule" (1995), peinture de la noblesse précarisée à l'orée de la Révolution, la série TV du "Comte de Monte-Cristo" (1998), récit des aventures d'un capitaine exilé pour cause de bonapartisme, "Jefferson à Paris" (1995), sur la vie du troisième président des Etats-Unis lorsqu'il était embassadeur dans la capitale et, forcément, la série "La Marquise de Pompadour" (2006). La politique vient parfois se mêler à l'art : on murmure que, pour "Marie-Antoinette" (2005), le ministre de la Culture de l'époque, Renaud Donnedieu de Vabres, a fait le forcing auprès de Sofia Copolla pour que le tournage se déroule en France. D'autres films, au contraire d'inspiration contemporaine, ont néanmoins trouvé dans le château de Champs un décor adapté à l'action. C'est le cas du "Promeneur du champ de Mars" (2004), de Robert Guédiguian, où les bureaux élyséens de François Mitterand trouvent un miroir fidèle en Seine-et-Marne, ou, plus surprenant encore, "On connaît la chanson" (1997) d'Alain Resnais, où la plus simple chambre du château a permis de reconstituer un appartement parisien.

 

Françoise Parisot assure la direction technique des tournages

"Je suis là pour protéger le château"

 

Depuis quatre ans, plus aucun film n'est tourné dans le château. Pourquoi ?

Depuis septembre 2006, le château est fermé au public. Attaqué par un champignon, un plafond a chuté et pour des raisons de sécurité, nous avons préféré en interdire l'accès. Cela concerne aussi bien les visites que les tournages de films. Bien heureusement, le château devrait bientôt rouvrir ses portes. La première tranche des travaux, qui consistait à remettre les installations électriques en conformité, vient de s'achever. Si tout se passe bien, nous réouvrirons en 2012. Cependant, les jardins sont ouverts. Mais il faut bien avouer qu'ils intéressent moins les cinéastes, pris séparément en tous cas.

 

Combien avez-vous vu passé de tournages depuis votre arrivée ?

Sachant que j'officie au château depuis 1986... un bon paquet ! Si mon compteur est à jour, 68 tournages ont eu lieu dans ces murs ou dans les jardins. Ce qui inclut les long métrages, les téléfilms, les publicités et autres... Le tout premier tournage auquel j'ai participé est celui d'un film américain de la fin des années 80 : "Napoléon et Joséphine", avec Anthony Perkins. Il s'agissait d'ailleurs de l'un de ses derniers films. Le film est très méconnu chez nous, et pour cause il n'est jamais sorti. Il avait pourtant été produit par la 5 de Berlusconi.

 

Ce tournage ne vous a pas marqué outre mesure...

Pas plus que cela. Mon véritable baptême du feu a lieu en 1988. J'étais toute jeune, je débutais, et voilà que je vois débarquer une pléïade de stars : Glenn Close, John Malkovitch, Michelle Pfeiffer, Uma Thurman, Keanu Reeves (acteurs des "Liaisons dangereuses", ndlr)... C'est la première fois que nous accueillions autant de monde. Cents personnes pour un tournage, à l'époque, c'est énorme... Devant une telle armada, je n'avais qu'une seule crainte : qu'ils cassent quelque chose !

 

Vous revient-il un souvenir de ce tournage ?

Alors que l'équipe tournait la fameuse scène de l'escalier, je me suis retrouvée coincée à côté des porcelaines, à deux mètres des acteurs. On m'a ordonné de ne plus bouger. J'étais morte de trouille. Voyant mon état de panique, John Malkovitch m'a adressé les pires singeries, histoire de me calmer. Il faisait ça, tout en réussissant à se concentrer sur ses répliques. Je n'ai jamais recroisé la route d'un acteur aussi grand dans la performance et simple dans le comportement. Cet homme est l'aristocratie, l'élégance même. Onze ans plus tard, il est repassé au château avec sa petite famille. Il recherchait un décor pour tourner. Il se souvenait de moi ! J'étais très flattée...

 

A ce propos, quelles étaient vos relations avec les acteurs durant les tournages ?

Très variables ! Moi, je suis quelqu'un qui ne transige pas. Je suis là pour protéger le château. Si un acteur, ou quiconque dans l'équipe, met en danger le mobilier ou piétine les pelouses, je ne me gêne pas pour lui dire ! J'édicte trois règles absolument intransgressibles : sur le site, on ne mange pas, on ne boit pas, on ne fume pas. Au moins, c'est clair ! Alors, quelque fois, ça pête. Comme avec Gérard Depardieu, au moment où il incarnait le Comte de Monte-Cristo. C'est un grand acteur, et il est habitué à ce qu'on plie à ses moindres désirs. Avec moi, ça ne s'est pas passé comme ça. Il m'a dit : "Mais vous savez qui je suis ?" Je lui ai répondu : "Oui, et ça ne change rien au fait que si vous voulez fumer, vous sortez". Il a gueulé, n'a pas obtenu ce qu'il voulait pour autant, et nos relations ont par la suite été excellentes ! Au moins, lui est franc.

 

Ils ne le sont pas tous ?

Loin s'en faut ! Je ne veux pas citer de nom, mais beaucoup ont de très, très grosses chevilles. Et, étonamment, c'est plutôt chez les acteurs français qu'on retrouve ça, plutôt que les Américains. Eux sont très pros, très "carrés". Ils savent où sont les limites. Alors que nos Français, et en particulier les plus jeunes, se prennent souvent pour ce qu'ils ne sont pas.

 

Quelles sont vos missions ?

La première est de faire du prérepérage. Toutes les équipes viennent avec une idée plus ou moins nette du décor dans lequel ils veulent tourner. Mais parfois, mis à part le fait qu'ils souhaitent tourner dans un château du XVIIIe siècle, ils n'en savent pas davantage ! Quand la déco se rend sur place pour visiter et prendre quelques photos, je leur donne deux-trois conseils pour coller à leur demande. Et j'énonce également les interdits, comme le fait que telle ou telle boiserie ne doit pas être éclairée, par exemple.

 

Quoi d'autre ?

Je dois ensuite dresser un plan des occupations. Dans quelle pièce va avoir lieu le tournage, dans quelle pièce s'installeront les techniciens, dans quelle pièce sera entreposé le matériel... Ce qu'il faut savoir, c'est que pour une pièce dédiée au tournage, il faut sept autres pièces pour que tout le monde puisse travailler. Je vous laisse imaginer combien il en faut lorsque le tournage a lieu dans plusieurs pièces ! Mon pire souvenir en la matière reste le tournage de "Marie-Antoinette". J'ai eu peur quand la production m'a annoncé qu'elle venait avec trente-sept camions. Il m'a fallu plusieurs semaines pour organiser leur entrée et leur sortie. C'était démentielle !

 

Et une fois que l'équipe est sur place ?

Il règne une énorme tension toute la journée. Nous arrivons avant la régie, aux alentours de 5 heures du matin, et nous repartons après elle, tard le soir. La régie est notre principal interlocuteur : c'est à elle que nous référons lorsque survient un problème. Il faut être disponible pour elle à tout moment. Travailler dans le cinéma interdit l'approximation. Tout est réglé à la minute. D'ailleurs, dans ce métier, on ne tient pas quarante ans. C'est trop éprouvant.

 

Près de 80 films en vingt-cinq ans

"Napoléon et Joséphine", de Richard T. Heffron (1987)

"Les Liaisons dangereuses", de Stephen Frears (1988)

"La nuit et le moment", d’Anna-Maria Tato (1994)

"Jefferson à Paris", de James Ivory (1995)

"Ridicule", de Patrice Lecomte (1995)

"L’Allée du Roi", de Nina Companeez (1995)

"On connaît la chanson", d’Alain Resnais (1997)

"Lautrec", de Roger Planchon (1997)

"Le comte de Monte-Cristo", de Josée Dayan (1998)

"Vatel" de Roland Joffé (1999)

"Les Enfants du siècle", de Diane Kurys (1999)

"Highlander : Endgame", de Douglas Aarniokoski (2000)

"Sade", de Benoît Jacquot (2000)

"La panthère rose", de Shawn Levy (2004)

"Le promeneur du champs de Mars", de Robert Guediguian (2004)

"Il ne faut jurer de rien", d’Eric Civanyan (2004)

"Marie-Antoinette", de Sofia Copolla (2005)

"Chez Maupassant", de Jacques Santamaria (2006)

"Jeanne Poisson, marquise de Pompadour", de Robin Davis (2006)

Publié dans culture

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