On enterre le lycée mort-né

Publié le par Ludovic Francisco

 

lycee_lognes_1.jpgAlors que les élections battent leur plein, le Conseil régional démarre actuellement le vaste chantier de « déconstruction » du lycée de Lognes. Un dossier encombrant que les élus de la région souhaitent expédier au plus vite après des années de procédures judiciaires…

 

Une « ruine ». Une « verrue ». Un « gouffre financier ». Les vocables diffèrent pour désigner l’ex-nouveau lycée de Lognes. Mais ils recouvrent tous une même réalité : celle d’un immense gâchis. Des millions d’euros engloutis dans la construction d’un établissement qui n’aura jamais vu le jour, et dont aucun élève, aucun professeur, aucun parent d’élève, n’aura jamais joui… Depuis une quinzaine de jours, les pelleteuses s’activent aux abords du lycée pour mettre fin à ce qu’il faut bien considérer comme une mauvaise plaisanterie. Une plaisanterie à plusieurs millions d’euros et dont le Conseil régional aurait aimé ne jamais entendre parler. Valérie Pécresse, de passage à Lognes en novembre dernier, n’avait pas hésité à jeter un pavé dans le jardin de la majorité socialiste… oubliant peut-être que la responsabilité en revient en grande partie à son propre camp. L’histoire remonte à 1996. Cette année-là, la Région, alors aux mains de Michel Giraud (RPR), décide de lancer la construction d'un nouveau lycée à Lognes. Il doit accueillir 900 élèves. Son coût est estimé à 13 millions d'euros. Les travaux doivent durer deux ans et la rentrée intervenir en septembre 2001. A l’époque, la maîtrise d'oeuvre est confiée à Frédéric Borel, qui promet alors « un édifice capable d'exprimer la poétique du site ». Il est vrai que l’idée d’un lycée, en bordure d’étang, est séduisante… La maîtrise d'ouvrage est quant à elle déléguée à l'aménageur de Marne-la-Vallée, l'Epamarne, lequel décide d’attribuer le marché à la société BEC Constructions.

 

Les acteurs se renvoient la responsabilité du fiasco

 

Le chantier débute... mais rapidement, il prend du retard. L'entreprise semble éprouver des difficultés à trouver des sous-traitants. Mais surtout, elle peine à concrétiser les plans de l’architecte… Devant l'impossibilité d'effectuer la rentrée 2001 dans de bonnes conditions, la nouvelle majorité réunie autour de Jean-Paul Huchon (PS) décide de résilier le marché de travaux passé avec le maître d'ouvrage, puis avec l'ensemble des partenaires... dont l'architecte. Le gros oeuvre et la couverture sont donc interrompus. En concertation avec le Département, le Conseil régional  replace les élèves de seconde, censés intégrer le nouveau lycée, au collège Jean-Monnet de Torcy. Pendant ce temps, un lycée provisoire, Emily-Bontë, est construit de l'autre côté de l'étang du Maubuée, à 500 mètres à peine de l'implantation prévue, près de la gare RER. Une installation « provisoire » qui va pourtant se révéler « permanente ». Car, pendant ce temps, les acteurs se renvoient la responsabilité du fiasco. La Région sollicite une expertise auprès du tribunal administratif de Melun. Celui-ci révèle de graves malfaçons : « L'enrobage des aciers, la qualité des bétons... Tout était dans un état dramatique. Plusieurs éléments du bâtiment présentaient des faiblesses avérées. Le bâtiment bougeait. Remettre en l’état la structure aurait coûté plus cher que de la reconstruire. Et surtout, au lieu d’avoir un bâtiment neuf, on aurait eu un bâtiment rapiécé, sans aucune certitude de pérennité », affirme Brigitte Eude, conseillère générale. Par décision de justice, le tribunal finit par exclure une « réutilisation des bases du bâtiment » et autorise le Conseil régional à procéder à la démolition.

 

La déconstruction durera jusqu’à juin

 

« Si nous avions démoli en nous passant de l'avis des experts, le maître d'oeuvre aurait été en droit de nous demander de lui rembourser », déplore celle qui vice-préside, encore pour quelques jours, le Conseil régional : Elisabeth Gourevitch. L’architecte crie à l’injustice : « Il y avait d'autres suites possibles, comme par exemple, prendre le temps de refaire un appel d'offres et retrouver une entreprise de construction. 8 à 10 millions d'euros auraient suffi pour finir correctement le bâtiment. » Pendant ce temps, mois après mois, le lycée-fantôme se dégrade. Laissé un long moment sans surveillance, il est rapidement occupé par des jeunes, qui y organisent des soirées, y établissent des squats et tagguent à tout va. Clôturé depuis plusieurs années, le chantier ressemble désormais à un vaste chaos. La phase  de « déconstruction », comme on dit poliment dans le jargon architectural, a permis pour le moment d’abattre les logements de fonction au pourtour du lycée, ainsi que la cantine. Cette semaine, l'imposant bâtiment va être à son tour démoli, par l’arrière, jusqu’à son imposante façade. « Des pelleteuses vont grignoter l'édifice morceau par morceau. Tous les déchets bétons et ferraillages seront acheminés jusqu’à des centres de traitement, afin d’être réemployés sur de futurs chantiers », explique Jean-Louis Gaillard, ingénieur des lycées à la Région. Au final, combien cette mauvaise plaisanterie va-t-elle coûté au contribuable ? La construction de l'ancien lycée, ajoutée à celle des locaux provisoires, représente déjà une somme de 23 millions d'euros. Pour la démolition, il faut compter un million de plus. Et si les conseillers régionaux ne veulent pas trop se hasarder à donner des chiffres précis, 30 millions d'euros semblent aujourd'hui le minimum pour construire un établissement d'une capacité de 800 élèves, aux normes environnementales en vigueur. Quant à la facture des avocats et des experts, elle risque d’être salée… Prévue pour durer deux mois, jusqu’à juin, la démolition sera suivie par la reconstruction du nouveau lycée. Mais pas avant 2011.

Publié dans territoire

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